Combien de fois j’ai entendu cette phrase. Et à quel point elle réussit à m’agacer, me crisper, me toucher. Hier se tenait la journée mondiale des bipolaires. Vous ne le saviez pas ? Pour une maladie diabolisée et encore tabou, pas étonnant…

Hier j’ai pris mon courage à deux mains, à trois , à quatre… Hier je me suis portée, à bout de bras, à bout de nerf, à bout de tout et j’ai hissé ma maladie sur les réseaux sociaux. Comme un drapeau rouge, comme un drapeau noir, comme un signe pour dire que la bipolarité existe, et que hé ! on s’en sort, hé on peut vivre avec, hé je suis toujours là. Certes ce n’était qu’une story instagram, mais par la suite j’ai reçu énormément de questions, de témoignages de proches comme de malades, de gens curieux ou plus touchant encore, de patients traités eux aussi en psychiatrie. Même si je n’ai qu’une petite voix pour le moment, j’ai apprécié échanger, recevoir des confidences, rassurer aussi. Si sur 1000 personnes qui lisent le blog aujourd’hui, une est touchée, rassurée, se sent moins seule, alors je pense sincèrement qu’il n’y a pas de coup d’épée dans l’eau. Je réponds ici à des questions qui m’ont été posées sur instagram

Commençons par le commencement

Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique se caractérisant par des troubles récurrents de l’humeur. Anciennement, on l’appelait la maniaco-dépressivité. L’humeur évolue donc en phase, et cela n’a rien à voir avec le fait d’être joyeux un jour et le lendemain triste. C’est un lourd cliché qui pèse sur la bipolarité, avec des expressions comme soupe-au-lait par exemple, ou l’adjectif lunatique, qui colle à la peau de cette maladie.

La maladie se compose donc de phases, qui peuvent durer des mois, comme des semaines, et peuvent s’étendre sur des années. C’est en cela que la maladie est dûre à diagnostiquer, puisqu’il faut souvent plusieurs années d’alternance de phases avant un diagnostic.

En grec la « manie » est synonyme de « folie ». En français, dans la langue de tous les jours la manie souligne l’excès : mélomane qui aime la musique à l’excès, maniaque qui se fixe sur les détails…
Au sens psychiatrique l’accès maniaque se caractérise par un état d’excitation psychique et motrice avec exaltation de l’humeur et mégalomanie.
L’accès maniaque survient de manière brusque mais peut être précédé d’une phase d’intensité modérée qu’on appelle « hypomanie ». Source : troubles-bipolaires.com

Les épisodes maniaques sont des épisodes extrêmement intéressants à vivre, j’ai commencé par ceux-là, et c’est comme un shot d’inspiration, une énergie incroyable et une productivité impressionnante. A côté de ça, il y a souvent une irritabilité importante, un besoin de reconnaissance prouvé par un ego surdimensionné et une inconscience qu’on met sur le compte de l’audace. C’est comme ça que j’ai dilapidé toute mon épargne accumulée sur mon compte jusque mes 18 ans. On n’a plus conscience du monde autour, et tout paraît simple, facile, atteignable. Mais c’est un délire, et il faut s’arrêter car cela peut devenir dangereux pour la santé, à cause du surmenage, du manque de sommeil, des troubles alimentaires qui peuvent apparaître… ( j’oubliais de manger, je vivais la nuit, je marchais et je faisais des rencontres le jour… je ne sais pas quand je dormais )

« Déprimer », étymologiquement, signifie « rabaisser ». La dépression est l’abaissement de l’humeur.
Un épisode de dépression est caractérisé principalement par une grande tristesse de l’humeur, une perte de l’élan vital et un ralentissement psychique et moteur pendant une durée d’au moins 15 jours.

Les épisodes dépressifs sont quant à eux la suite des épisodes maniaques, en général. On réalise que ce projet ne sera pas possible, on s’attarde sur un détail qu’on pousse à l’extrême et la vie n’a plus de sens. Perte d’appétit, plus aucune activité, repli sur soi-même et grande tristesse, inutile de vous dire que ce sont des épisodes extrêmement fatigants et vraiment violents. Avec les années, j’ai tendance à être plus dépressive que maniaque, mais chaque bipolaire a plus ou moins sa tendance. La bipolarité se classe ensuite en plusieurs types, je vous ai trouvé un graphique plus ou moins clair et je vous invite à consulter ce site pour plus de réponses à vos questions. Je le trouve bien fait et très pertinent quant aux explications.

Vos questions

Avant d’y répondre, je tiens à préciser que mon expérience est toute personnelle, et que ce que j’ai vécu peut être très différent de votre situation, ou de la situation que vous avez connu auprès d’un proche. Je suis patiente, pas médecin, et j’apporte juste mon témoignage.

Quelle différence fais-tu entre la bipolarité et l’hypersensibilité ?

Pour moi, on peut être hypersensible sans être bipolaire, alors que les bipolaires sont souvent hypersensibles. Comme les émotions sont souvent ressenties à l’extrême chez les bipolaires, c’est une caractéristique qu’on retrouve chez pas mal de bipolaires mais qui ne fait pas forcément de vous un bipolaire.

Comment en es-tu arrivée à être diagnostiquée bipolaire ?

Chaque diagnostic est différent, car les types de bipolarité sont parfois bien malins pour se faire débusquer. J’ai fait un premier burnout l’été de mon baccalauréat. J’avais 18 ans et une surcharge émotionnelle, cognitive et de façon général il y avait bien un truc qui clochait. J’étais facilement irritable, très mélancolique, j’avais un débit de parole vraiment incompréhensible et je me sentais vraiment flottante dans une vie qui me passait dessus comme un train. Déconvenues amoureuses, déceptions amicales, construction d’études supérieures… Suite à une remise en question sur mes origines et des questions qui m’ont un peu trop triturées l’esprit, le service psychiatrique m’a pris en charge. Je délirais complètement, j’avais des hallucinations visuelles ( je voyais des gens ) , mon coeur battait tellement vite que les urgentistes m’ont clairement demandé si j’avais pris de la drogue ( alors que non ). Je me croyais vraiment dans un jeu ( je crois que je regardais trop la télévision ), et je me disais que toutes ces épreuves allaient me conduire à quelque chose. Dit comme ça, ça peut paraître extrêmement ridicule, mais avec toute ma tête retrouvée j’ai vraiment honte de ce premier épisode qui était vraiment vraiment éprouvant. Après un séjour d’un long mois en hôpital psychiatrique, j’ai retrouvé la civilisation, ( peut-être que vous comprenez maintenant pourquoi j’aime autant la liberté et que je ne supporte pas les clés ) et la vie a repris son cours. J’ai intégré la fac de langues par défaut et j’ai suivi un trimestre entier. Puis j’ai compris que ces études ne me plaisaient pas, et j’ai décidé de me réorienter en culture-communication à Nancy. Là-bas je n’ai pas pris mes médicaments correctement, mon ex de l’époque m’a planté par sms, et j’étais donc seule dans une ville que je ne connaissais pas, avec le coeur brisé, des médicaments délaissés et tout un monde à risque à tester. Inutile de vous dire que j’ai foncé dedans, par bravade, par inconscience clairement, et que j’ai commis pas mal de frasques, je me suis infligée pas mal de misères ( bon parfois j’ai beaucoup ri , mais en fait j’ai aussi beaucoup maigri ) et que c’était retour à l’hôpital d’abord à Nancy puis à Fleury, mon premier sanctuaire de repos. Cette fois-ci, j’étais au courant et j’ai accepté de me faire hospitaliser car je sentais bien que je partais totalement en guerre contre moi-même, que je ne savais pas pourquoi et qu’en plus ma famille ne savait plus comment me gérer. Le second séjour a été bien plus facile que le premier, déjà car je savais où j’étais, et de deux car je savais comment une vie au repos fonctionne. J’ai beaucoup aimé être stimulée artistiquement, même si ce que j’ai produit à l’époque, en argile ou en peinture est assez sombre et clairement cauchemardesque. J’ai beaucoup chanté aussi et je fredonne assez souvent dans ma vie quotidienne car ça me rassure. Pour répondre à la question de base, c’est au cours de ce second séjour que j’ai été diagnostiqué bipolaire, le premier n’ayant apporté que des soupçons.

Quels symptômes et quelles questions t’es-tu posée ? 

Chez moi à présent, ça se manifeste de façon assez violente, je deviens très agressive et je peux avoir des propos odieux et infondés sur le coup de la colère. Je me sens incomprise et triste, et j’ai un très gros côté mélancolique, je pleure pour un rien ( souvent en regardant des gens et en imaginant leurs histoires par exemple ) , j’ai envie de rentrer dans la terre, de me faire toute petite et de n’ennuyer plus personne et je n’ai plus envie de manger ( ce qui est un énorme signe quand on connaît ma gourmandise ! ) . Le côté maniaque n’est plus trop présent ou assimilé à ma personnalité, car je suis très active naturellement. Niveau questions, je me demandais surtout si j’avais un problème, si j’étais normale, si il fallait accepter ça ou bien m’élever contre. Au final, j’ai réfléchi à ma définition de la normalité, et je me prends beaucoup moins la tête.

As-tu besoin de médicaments, si oui , pourquoi ?

J’ai commencé par de la DEPAKOTE et du RISPERDAL. Ce n’était pas adapté et j’ai à présent du lithium TERALITHE qui est le médicament le plus prescrit pour ce type de pathologie. Cela me permet de prévenir mes états, je me rends compte quand ça commence à ne pas aller, et je fais mon possible pour traverser ces périodes sans trop de vague. La bipolarité serait lié à un mauvais échange chimique au niveau du cerveau et le médicament agit comme un régulateur et ne perturbe pas du tout mon mode de vie.

D’après toi et pour toi , penses-tu que la bipolarité est irréversible ?

C’est une maladie incurable oui. On n’en guérit pas, on apprend à vivre avec, on apprend à se connaître, à faire attention à son rythme de vie. Il est indispensable d’être suivi par un médecin, de bien dormir et d’avoir une sorte de routine quotidienne ( manger, dormir, être actif ). Par rapport aux médicaments que je prends je sais par exemple que le jour où je vais vouloir un enfant, je vais devoir arrêter mon traitement car le bébé risquerait des malformations cardiaques sévères.

Vis-tu mieux depuis que tu sais ce que tu as ? Comment ont réagi les gens autour de toi ?

Oui, et encore mieux en l’ayant accepté. Au début le déni est très courant, mais une fois que c’est accepté, ça facilite la vie de la personne et celle de ses proches. Je sais que je peux être fragile quant à la dépendance à certaines substances, alors je m’en suis naturellement éloignée un peu ( alcool, cigarette, drogue…). Les gens ont très mal réagi mais ça m’a permis de faire le tri. Entre ceux qui me disaient que ça ne les étonnait pas, d’autres que je voulais juste de l’attention, d’autres encore que c’était une maladie de riche ou que je le faisais exprès pour me trouver des excuses… Si les gens ne sont pas capables de voir plus loin qu’une maladie, ils n’ont pas leur place dans ma vie. Et s’ils me trouvent bizarre, grand bien leur fasse, je les trouve juste malpolis et maladroits. Chacun sa psychose et sa maladie, je reste persuadée qu’on a tous nos combats, sans forcément mettre de nom dessus. Ma principale cause d’énervement et de tristesse reste la désinformation sur cette maladie, le fait qu’on n’ose pas en parler. Je voudrais que les mentalités changent, alors les personnes auraient peut-être un peu plus de jugeotte quant à leurs paroles blessantes ?

Comment en as-tu parlé à Anthony ? 

Naturellement, et au tout début de notre relation. Il m’a vu en dépression, alors il sait très bien ce que c’est, et il est resté. Cela m’a fait me dire qu’il était le bon, car je ne trouve pas trop d’autre expression que « Prends dans tes bras la personne qui te tape dessus. » quant au rapport des proches avec la maladie.

Est-ce en rapport avec ton deficit d’attention?

Je pense que tout est un peu lié oui. Mais ce n’est pas ça qui me rend bipolaire, disons que simplement c’est un lien qui arrive souvent.

C’est quelque chose de naissance ou acquis plus tard ?

Le débat est vraiment large et j’avoue que je me suis renseignée un peu. Apparemment cela pourrait se transmettre mais ne serait pas forcément ancré. Un diagnostic prénatal n’est pas possible par exemple, même si certains gènes auraient été identifiés ( source : AMELI ) .  L’entourage et les expériences personnelles font beaucoup aussi. Le plus souvent, c’est un élément violent qui provoque les premiers soupçons.

Comment peut-on aider ses proches à vivre avec ?

C’est un conseil que je pourrais donner à tous les gens qui ont d’autres maladies. Restez présents, restez aimants. Souvenez-vous de la personne que vous avez devant vous, ce que vous appréciez chez elle, pourquoi vous l’aimez. C’est souvent plus difficile pour les proches de bipolaire que les bipolaires eux-mêmes car un gros sentiment de frustration peut apparaître. Ne pas savoir quoi faire, ne pas savoir quoi dire. Parfois, il ne faut rien dire, il faut juste être là. Sous certaines formes, la bipolarité peut être extrême et changer complètement une personne, la rendre violente et insultante. Il est important dans ce cas aussi de se protéger de la maladie, car elle peut vite détériorer les relations. C’est un équilibre bien instable. Quand j’étais à l’hôpital, ma Maman ( la seule autorisée à me voir ) m’apportait beaucoup de livres, de cahiers pour écrire. Je crois que c’est aussi pour ça que j’écris toujours, car l’écriture et la lecture m’ont permis de voir du pays derrière les barreaux.

Merci d’avoir lu jusqu’ici. C’était assez éprouvant et difficile pour moi d’écrire sur un fait si personnel, avec toujours une distance et une pudeur nécessaire pour ne pas tomber dans le dramatique. N’hésitez pas à partager cet article, à le commenter… on ne sait jamais qui ça peut aider ou informer 🙂 

Rédigé par

Anthony & Noémie

Jeune couple d'une vingtaine d'années, on a décidé de se lancer dans l'aventure bloguesque à deux, pour partager nos aventures, nos sorties culturelles, nos coups de coeur, mais aussi nos réflexions sur la vie de couple ! Gourmands et bons marcheurs, on adore tester de nouvelles choses, aussi bien sorties insolites que restaurants atypiques !